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Derrière la mort, la Vie

Elle était là. Elle m'observait de loin. Sa robe de voiles noires faisait ressortir sa peau nacrée. Elle était droite, belle, fine et élégante. Moi aussi, je l'observais de loin sans oser l'aborder.

Un jour, je l'ai vu assise sur un rocher. Elle fixait l'horizon. Intriguée par sa beauté mystérieuse, je me suis lentement approchée.

"Je vous dérange ?"

"Non, je t'attendais."


Ce sont les seuls mots que nous avons échangés. Elle s'est tournée vers moi. J'ai été frappée par l'intensité de ses grands yeux noirs.

Elle s'est approchée de moi et m'a murmuré à l'oreille :

"Va, maintenant. Tu n'es pas prête. Reviens me voir plus tard."


Elle s'est retournée et s'est éloignée. Je l'ai regardé partir. Toujours figée sur place. Fascinée par cette sombre beauté. Le vent s'est levé et a fait danser sa longue chevelure d'ébène.

Il est, ensuite, venu me caresser le visage. J'ai fermé les yeux pour mieux apprécier sa fraîcheur. Quand je les ai ouvert à nouveau, elle avait disparu. Je l'ai cherché du regard. Mais devant moi, il n'y avait que l'horizon.


Soudain, la sonnerie d'un réveil. J'ouvre les yeux. Je suis couchée dans mon lit. Chez moi. Dehors, le soleil brille et une brise légère fait danser les rideaux. Ce n'était donc qu'un rêve. Cela paraissait pourtant si réel. Je me lève péniblement, encore toute étourdie par cet étrange songe.


Les jours passent, j'ai repris mon train-train quotidien : métro-boulot-dodo. Mais je ne cesse de penser à ce rêve. Qui était cette femme ? D'où venait-elle ? Elle semblait me connaitre. Quel était le sens de ces mots : « tu n'es pas prête. Reviens me voir plus tard » ? Comment la retrouver ?


Des jours, des semaines, des mois passent. La beauté mystérieuse prend de plus en plus de place dans mon esprit. Elle m'obsède. Un seul désir : la revoir, la toucher, lui parler. Chaque soir, je m'endors en souhaitant la croiser à nouveau. Chaque matin est une nouvelle déception. Je me réveille le ventre noué par la tristesse. Je ne la connais pas et pourtant, elle est devenue la personne la plus importante de ma vie. Elle a pris toute la place. Je ne vois plus qu'elle, je ne pense plus qu'à elle. Sans elle, je me sens vide, incomplète. Mon existence n'a plus de sens. Tout me semble sans importance. Je m'enferme chez moi. Je n'ai plus envie de rien. Je m'éloigne de ma famille et de mes amis. Suite à mes absences injustifiées, je reçois ma lettre de licenciement. Tant mieux, le boulot, j'en pouvais plus. Tout parait insipide. J'arrête de m'alimenter. Manger me demande trop d'efforts. Je passe mes journées recroquevillée sur mon tapis que j'inonde de larmes. Une seule envie : dormir. Dormir pour la retrouver et ne plus la quitter. Je ferme les yeux en la suppliant de revenir me voir.


Un jour, sans trop savoir pourquoi, je me lève, prends ma veste et sors de chez moi. J'erre longtemps à travers les rues, comme un zombie. Je marche à travers les champs. Je n'ai aucune idée d'où mes pas me mènent. Juste besoin de m'éloigner, de marcher droit devant moi, sans me retourner. Je ressens une force qui me pousse vers l'avant.


Au détour d'un chemin, le paysage devient familier. Je reconnais cette clairière, cet arbre. Au loin, je la vois. Elle est là. Assise sur son rocher comme l'autre fois. J'aperçois son visage se tourner vers moi. Malgré la distance, je sens son regard me transpercer. Mon coeur s'emballe. Une immense joie m’envahit. Je me retiens de courir vers elle. Je savoure chaque pas qui me rapproche d'elle.


Nous voilà face à face. Mes yeux dans les siens. Dans son regard sombre, il y a des reflets dorés. Ses yeux brillent. Je suis captivée. Je ne bouge plus. C'est elle, à présent, qui s'avance vers moi. Lentement. Elle tend sa main et me caresse la joue. Sa peau est froide et pourtant je ressens de la chaleur dans tout le corps. C'est doux. Elle m'enlace. Son corps enveloppe le mien comme un cocon protecteur. Je me sens tellement bien. Des larmes de joie, de soulagement, de réconfort viennent mouiller sa robe. Elle m'étreint davantage. Son odeur m'enivre. Un parfum délicatement fleuri et légèrement sucré.


Nous nous allongeons l'une contre l'autre dans l'herbe. Elle se penche vers moi. Ses cheveux viennent me chatouiller le visage. Ils sont tellement soyeux. Je sens son souffle dans mon cou. Elle me murmure des mots à l'oreille. Des mots qui font du bien. Elle me parle de son monde. Un monde tellement différent du mien. Un monde où tout semble plus beau, plus merveilleux. Un monde qui parait plus en paix, plus tranquille. Nous restons de longues heures dans les bras l'une de l'autre. Elle me raconte des histoires. Sa voix douce enchante mes oreilles comme une mélodie. Je perds la notion du temps. J'ignore combien de temps nous restons ainsi soit à parler soit simplement à se regarder.


Le soleil se couche à l'horizon laissant la lune et les étoiles apparaitre. Nous contemplons le ciel étoilé sans un mot. Les rayons de la lune accentuent la blancheur de sa peau et lui donnent des reflets argentés. Elle scintille sous la lune. Je finis par briser le silence.

"J'aimerais que cet instant dure pour toujours."

"Viens avec moi alors."

"Où ça ?"

"Chez moi, dans mon monde, au delà du tien."


« Oui, je veux partir avec toi ». Ce sont les mots que je souhaite prononcer mais ils restent coincés au fond de ma gorge. Aucun son ne sort. Je reste muette. Quelque chose me retient.

"Viens avec moi. Je te ferai découvrir mon monde. Il est bien plus beau et bien plus vaste que le tien. Chez moi, tout est possible. Il n'y a aucune barrière, aucune limite. Nous pourrons être ensemble. Je prendrais soin de toi. Avec moi, tu n'auras plus jamais peur."


Les mots ne sortent toujours pas. A ce moment-là, je pense à ma maison, ma famille, mes amis. Je ressens comme un pincement au coeur. Le doute m'envahit.

"Je ne sais pas. Je ne peux pas partir comme ça. Il y a ma famille, mes amis."

"Tu les as pourtant abandonnés pour venir me retrouver."

"Oui, je sais et je m'en veux un peu d'être partie sans rien dire. Et toi ? Ne peux-tu pas venir avec moi ?"

"C'est impossible. Je ne peux venir dans ton monde qu'à certains moments et pour des laps de temps très courts. Je ne peux y rester. Viens avec moi."


Elle me sert plus fort contre elle.

"Viens avec moi."


Je suis toujours tiraillée et suis incapable de lui donner une réponse.

"Viens avec moi."


Sa voix devient insistante et elle me sert de plus en plus. Je me sens oppressée. J'essaye de me dégager mais elle me maintient contre elle.

"Lâche-moi s'il te plait"

"Viens avec moi."


Je commence à paniquer. J'étouffe. J'ai mal.

"Lâche-moi. Tu me fais mal."


Elle relâche son étreinte pour mettre ses mains autour de mon cou. Elle plonge son regard dans le mien. Il a changé. Il est dur et froid. Les reflets dorés ont laissé la place à des reflets rouge sang.

"Viens avec moi."


Je sens ses mains qui se referment sur mon cou.

"Viens avec moi"


J'ai froid, j'ai peur. Mon corps semble s'évanouir. J'ai le souffle coupé, je ne respire plus. Je me sens partir, je la regarde une dernière fois. Dans ses yeux rouges, une lueur de plaisir. Satisfaction de me posséder, de me dominer, de m'emporter. Dans un souffle, j'arrive à lui dire.

"Non, je ne viendrai pas avec toi."


A ces mots, elle me lâche. Je suis au sol, à moitié évanouie. Je mets ma main sur ma gorge douloureuse. Je tousse. J'arrive à me relever. Je la vois s'approcher de moi. J'ai un mouvement de recul. Envie de fuir mais je n'ai pas la force. Je lève mes yeux vers elle comme pour la supplier de me laisser. Les reflets dorés sont revenus. Son regard est à nouveau doux. La furie s'est enfuie et à laisser la place à ma tendre amie. Je suis rassurée de la retrouver. Elle me caresse le visage.

"Tu es prête. Va. Je t'attendrai"

"Prête à quoi ?"


Elle reste silencieuse. Je vois une larme scintiller. Elle me sourit.

"Prête à quoi ?"


Pour seule réponse, un baiser sur le front. Je ferme les yeux pour mieux sentir ses lèvres sur ma peau et pour prolonger ce moment.


Quand je les ouvre, elle a disparu. Comme une ombre. Je suis de nouveau seule au milieu de la clairière. J'essaye de comprendre ce qui vient de se passer. Je reste un long moment assise dans l'herbe. Hébétée. Le vent vient me frôler le visage, comme la première fois. Je ferme à nouveau les yeux. Un parfum délicatement fleuri et légèrement sucré vient me titiller les narines. J'ouvre les yeux et tout parait différent. Devant moi le vide. Et pourtant, je me sens pleine. Devant moi l'incertitude. Et pourtant j'ai confiance. Devant moi la solitude. Et pourtant, je sais que je ne suis pas seule.


Je me tourne vers le ciel, les joues pleines de larmes.

"Merci belle fée noire. J'ai compris. Tu as raison. Je suis prête. Prête à vivre."



Aline Lourtie

14 juin 2021

Inspiré de la carte « Derrière la mort, la vie » de l'Oracle de Rumi


Ecriture du Coeur du 11 juillet 2021

Thème « Non, on t'attendais »


Une silhouette de femme blanche et lumineuse sur un fond noir. il y a des étoiles.

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