Tout n'est peut-être pas bon à mixer
- Aline Lourtie
- 13 mai 2023
- 4 min de lecture
Sacré défi que je me lance : cuisiner pour 20 personnes, vivre 5 jours avec des adolescents belges et afghans dont je ne connais rien. Stressée ? Oui, un peu quand même. Mais, je me suis bien préparée. J'ai imprimé mes menus que j'ai mis dans une jolie farde en carton, les courses sont faites, j'ai mes horaires bien en tête. Bref, je me lance dans l'inconnu mais tout en gardant bien le contrôle.
Du moins, c'est ce que je crois... Je viens à peine de décharger toutes les courses que j'apprends qu'il faut revoir tous les menus. Les afghans veulent cuisiner eux-mêmes et ne mangeront pas les plats que je me réjouissais de leur préparer. Aïe, ça pique... Je prends sur moi.
Je peux dire au revoir à ma jolie farde en carton. Va falloir improviser, composer chaque jour de nouveaux menus en fonction de ce qu'il y a dans le frigo pour éviter le gaspillage et d'exploser le budget. Me voilà sous pression dès le premier jour. Je garde le cap malgré tout.
Un jour, deux jours, trois jours,... la fatigue s'accumule, les problèmes, les difficultés, les crises et les tensions aussi. Pas facile l'interculturalité... Ce que je crois faire de bien à, parfois, tendance à se retourner contre moi et mes meilleures intentions sont parfois les pires.
Je me retrouve comme une petite fille timide face à tous ces ados. J'ignore comment me comporter, j'ai peur, je doute, je redoute. Je contrôle ce que je dis, ce que je fais pour ne pas blesser, choquer, déstabiliser. Essayer de me rendre le plus invisible possible. Si l'on ne me voit pas, je ne peux pas faire de mal et ils ne peuvent pas me faire de mal. Protections activées : je regarde les choses de loin, je ne m'implique pas dans le groupe, je reste extérieur. Je suis épargnée et en même temps très seule.
Jour 4, une nouvelle crise qui met tout le groupe sous tension. L'ambiance est lourde pour tout le monde. Après une belle frayeur suite à une casserole qui prend feu, un horaire de repas encore une nouvelle fois décalé pour cause de discussion, je sens le besoin de prendre encore un peu plus de recul. La colère monte... Surtout ne pas la laisser s'échapper. Je monte dans ma chambre. Chanter quelques mantras, méditer me fera sûrement du bien. Besoin d'exprimer ce qui est là. Cela me fait du bien mais je sens que je n'ai pas envie de redescendre. Si seulement, je pouvais rester seule dans ma chambre le reste du séjour. Ce n'est pas possible alors je prends une nouvelle fois sur moi et trouve le courage de rejoindre les autres.
Quand j'arrive dans la cuisine, le repas est fini, et là, sur la table, les deux casseroles de nourriture que j'ai préparé sont intactes. Personne n'y a touché. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Je n'en peux plus. Besoin de prendre l'air, de marcher, de courir. Je pleure, je râle, je suis triste, en colère. Je me sens aussi terriblement seule face à tout ça
« Pourquoi je suis là ? » « A quoi cela sert tout ça ? » « Pourquoi je m'engage toujours dans les plans foireux ? » « Les afghans auraient pu cuisiner pour tout le monde tous les jours. Niveau budget, cela aurait été plus facile. Moi, je ne suis bonne qu'à ranger la cuisine et faire la vaisselle. »
Et ça tourne et ça tourne...
« Je ne suis pas faite pour vivre en collectivité. » « La mixité culturelle c'est pas pour moi. » Je me rends compte de ma position de jeune femme blanche, européenne et privilégiée. Je me rends compte à quel point il est difficile pour moi de m'adapter aux autres.
Et là en marchant, je pense à ce fameux thème « tout n'est peut-être pas bon à mixer ». Eh oui, peut-être que c'est vrai... Peut-être que tout ceci n'est qu'une énorme erreur... Peut-être que je dois rester avec les gens qui me ressemblent, qui sont comme moi... Peut-être que je suis bien plus intolérante, fermée, raciste et élitiste que je ne le croyais. C'est dur à vivre, c'est dur à entendre. Je suis intolérante, raciste et élitiste et c'est merveilleux, pas sûr que j'arrive à assumer cela.
Je rentre au gîte bien décidée à ne plus adresser la parole à personne. Il ne faut plus compter sur moi, la porte est fermée. Heureusement, les barrières lâchent à la simple vue de mon amie qui me tend les bras et m'accueille. Elle m'écoute et me rassure. Cela fait du bien. Notre amitié s'en trouve renforcée. Voilà un point positif.
Jour 5, c'est le dernier, ouf. Vivement rentrer chez moi. Je suis épuisée. Dernière ligne droite avant la représentation des jeunes. Je redoute les pétages de plomb avec la montée du stress. Mais rien... aucune crise, aucun problème. Tout se passe à merveille.
Le public est au rendez-vous. Cela fait plaisir à voir. Je découvre le spectacle des jeunes. Et là, je découvre tout ce qui était devant moi et que je n'ai pas vu. Je vois des jeunes adultes belges et afghans qui malgré toutes leurs différences forment un groupe soudé et uni. Je vois de la complicité, des sourires, de l'entraide. Je vois aussi leur stress, leur timidité, leur vulnérabilité mais aussi leur fierté d'être là tous ensemble. Je vois tous les liens qui se sont créés entre eux sans même que je m'en aperçoive. Je suis admirative et émue face à ces jeunes.
Et là, je réalise que tout cela en valait vraiment la peine. Malgré toutes les galères traversées, la magie a opérée.
Croyez-moi, passer au mixer c'est douloureux et bouleversant à la fois. On n'en ressort pas indemne. Mais cela créer un mélange beau et unique dont je suis fière de faire partie.
Aline Lourtie
14/05/2023
Ecriture du Coeur
Thème : « Tout n'est peut-être pas bon à mixer »
Inspiré de la résidence MJ Music de Mai 2023




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