Smile
- Aline Lourtie
- 30 mars
- 4 min de lecture
3h30. Quelques lampadaires éclairent la ville calme et silencieuse. Perdue dans ses pensées, elle marche. Encore une nuit d'insomnie. Cela fait plusieurs mois maintenant que cela dure. Elle a tout essayé : les médicaments, les plantes, l'hypnose, la méditation,... Rien ne calme cette sensation d'étouffement quand elle se réveille en pleine nuit. Alors, elle enfile son manteau et elle va prendre l'air. Elle aime errer dans cette ville sans bruit où tout semble immobile.
Marcher lui a toujours fait du bien. Chaque pas, lui vide l'esprit pour faire place à son imagination. C'est lors de longues promenades dans les bois qu'elle a eu l'idée de ses plus beaux romans. Ceux qui l'ont rendue célèbre. En trois ans, elle a publié six romans. Tout lui coulait des mains. Sans effort. Les personnages, les situations venaient à elle. Elle n'avait plus qu'à les coucher sur le papier. Et puis, un jour, la panne. Elle s'est retrouvée devant son écran et là... Rien. Le vide. Le néant. Un gros trou noir. Le syndrome de la page blanche qu'ils disent. Ne supportant plus la pression de son éditeur, elle a choisi de le quitter. Depuis, elle n'écrit plus et elle erre dans la nuit espérant calmer ses angoisses et retrouver l'inspiration. Oui, retrouver cette flamme, ces petits papillons, cette sensation de vibration, de pétillement au creux de son ventre. Cela fait longtemps que cela a disparu. Elle ignore pourquoi. Elle n'est pourtant pas malheureuse. Mais elle n'est pas non plus heureuse. Une sorte de lassitude s'est installée en elle, de la résignation. Elle a fini par accepter de ne plus rien ressentir ni joie, ni colère, ni tristesse. Juste de l'indifférence. Elle se sent vide de toutes substances, coincée dans une carapace lourde et étroite. C'est pour cela qu'elle étouffe et qu'elle a besoin de prendre l'air.
Elle arrive à la Grand Place et s'assied sur un banc. Le métal est froid. Elle frisonne. Elle s'allume une cigarette. Elle avait arrêté de fumer depuis plus de sept ans. Elle a craqué. Étrange de se dire qu'un des seuls remèdes pour calmer sa sensation d'étouffement est de s'enfumer les poumons. Cela frise presque le ridicule. Mais cela l'apaise. Tenir une cigarette diminue le tremblement de ses mains et les occupe. Quand elle fume, elle retrouve une certaine contenance. Elle s'imagine être une grande star de cinéma. Une femme plein d'assurance et de confiance. Elle sort son téléphone. 4H30. Elle ne remarque pas la longue silhouette qui s'approche et qui vient s'asseoir à côté d'elle.
« Bonsoir » dit-il.
Elle sursaute légèrement et se retourne vers l'homme.
« Bonsoir ».
«Il fait doux ce soir, vous ne trouvez pas ? »
« Oui, il fait doux »
« Insomnie ? »
« Oui »
Un silence s'installe entre eux. Elle n'ose pas le regarder. Elle a une étrange sensation. Cet individu la trouble. Mais elle ne se sent pas en danger. Sa voix lui semble familière.
« Auriez-vous du feu ? »
« Oui, tenez »
Elle lui tend son briquet allumé. L'homme se penche vers elle pour y brûler sa cigarette. Un bref instant, sa main effleure la sienne. Cela la trouble davantage. Quand il se redresse, elle peut sentir son parfum. Un parfum à la fois fort et délicat. Quelque chose de boisé et de fleuri. Elle reconnaît ce parfum. Non, ce n'est pas possible. Cela ne peut pas être lui. Pourtant, cette voix, ce parfum,...
Les souvenirs lui sautent en pleine figure. Sa gorge se noue. Elle se remémore cette période qu'elle pensait avoir oublié. Elle revoit cette jeune fille de 15 ans assise sur un banc. Cette jeune fille triste et solitaire. Celle qui se croyait folle, que personne ne voyait, que personne n'entendait. Celle qui avait la solitude pour seul refuge. Celle qui essayait vainement de rentrer dans un moule, d'être comme toutes les autres filles. Celle qui se demandait parfois si tout cela avait du sens et si quelqu'un remarquerait son absence si elle disparaissait là tout de suite. Cette jeune fille dont les larmes inondaient les joues. Ce jour-là, un homme s'est assis à côté d'elle, comme ce soir. Elle ne se souvient ni de son physique ni de la couleur de ses yeux ou des ses cheveux. Elle ignore son nom. Par contre, elle se souvient parfaitement de son parfum quand il s'est assit près d'elle. Elle se souvient de son regard si tendre et rempli de douceur. Elle se souvient du contact de sa peau quand il a posé sa main sur la sienne, de cette sensation de chaleur qui a envahit tout son corps. Elle ne se rappelle plus ce qu'il lui a dit. Mais elle se souvient du son de sa voix et du dernier mot qu'il lui a murmuré avant de se lever et de s'éloigner. Elle est restée là, sans bouger, une sourire au coin des lèvres, toujours avec cette douce chaleur qui emplissait tout son corps. Cela n'a duré qu'un bref instant. Elle ne l'a jamais revu.
Ce pourrait-il que se soit lui qui soit assit à côté d'elle ce soir. Sortie de ses souvenirs, elle décide d'en avoir le cœur net. Quand elle se tourne vers lui pour lui adresser la parole, il a disparu. Elle regarde autour d'elle. Aucune trace de l'inconnu. Était-ce réel ou bien le fruit de son imagination ? Elle regarde l'heure sur son téléphone. 4H41. A peine quelques minutes se sont écoulées. Elle a sûrement dû rêver. La fraîcheur du vent qui se lève la fait frissonner. Il est temps de rentrer. Durant tout le trajet, elle essaye de se persuader que tout ceci n'a pas existé. Arrivée devant chez elle, elle fouille les poches de son manteau pour trouver ses clés. Sa main droite reconnaît la sensation de métal de son trousseau mais il y a autre chose. De sa poche, elle tire un papier plié en deux. Elle ne se souvient pas avoir mis de papier dans sa poche. Elle le déplie et lit. Une sourire apparaît sur son visage, une chaleur intense envahit son corps, des papillons chatouillent le creux de son ventre. C'était donc bien lui. Elle en a la preuve maintenant avec ce bout de papier sur lequel est écrit le même mot qu'il lui a susurré il y a plusieurs années. Ça y est. C'est à nouveau là. Elle le sent. Cela parcourt tout son corps. Elle s'installe à son bureau et commence a écrire : « Smile ». Ce dernier mot qui deviendra le début d'une nouvelle histoire de vie.
Aline Lourtie
30/03/2025




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